lundi 1 décembre 2014

Nouvelle crue majeure sur le karst des Corbières, report topo et perspectives d'exploration sous le massif de Nitable

Samedi 29 et Dimanche 30 Novembre 2014
Hautes Corbières

Les épisodes météorologiques exceptionnels augmentent en fréquence semble-t-il ces dernières années. Après les crues record de 2011 et celle de Mars 2013, le sud du département de l'Aude est de nouveau confronté à un cumul pluviométrique de l'ordre de 300mm en moins de 48H sur certaines zones.
La première vague orageuse intense touche le secteur de Fourtou et Sougraigne ainsi que le nord Fenouillèdes dans l'après midi du Samedi. L'Agly entame une crue éclair et pointe rapidement à 180 m3/sec à Saint Paul. La Sals fait mieux et atteint 250 m3/sec à Cassaignes vers 18h.
Pour ceux qui connaissent, une visite à l'entrée du réseau du Bournasset montre la doline entièrement submergée avec un tourbillon en son centre aspirant un débit énorme. Quinze ans que cela n'était pas arrivé...
Après une accalmie en fin d'après midi, les orages reprennent de plus belle en soirée, cette fois sur le secteur de Mouthoumet. De nombreux torrents descendent de la montagne emportant plusieurs chemins, le Sou déborde à Termes et envahit la rue principale, inondant plusieurs rez-de chaussée vers 1h du matin. La crue dépasse sur cette zone celle de 1999 et celle plus proche de Mars 2013. L'Orbieu au niveau de sa confluence avec le Sou enregistre un pic de débit à 350 m3/sec en milieu de nuit. Heureusement la crue est diluée vers l'aval car les vagues orageuses impactent à chaque fois des zones différentes du bassin versant. La troisième et dernière vague, plus étendue, touchera les bassins versants du Verdouble, de la Berre et de l'Aussou en deuxième partie de nuit, mais cela est une autre histoire plus médiatisée...

Chemins emportés par le ruisseau de Caulère qui est passé par dessus les digues en aval de Mouthoumet

Au niveau du karst, cette crue est l'occasion de mettre à l'épreuve le système de surveillance et d'alerte que nous avons mis en place avec Fabien en février dernier. En effet, une sonde imergée dans l'aquifère karstique du massif à un endroit stratégique nous renseigne en direct sur le serveur internet sur la montée du niveau de l'eau. Je peux immédiatement mettre en relation cette montée avec les données du pluviomètre.
Nous constatons une élévation de 8m en quelques heures le samedi après les pluies (90mm) de la nuit de vendredi. Vers 19h, le karst commence à déborder faiblement avant même l'arrivée des plus gros orages. La vague de crue, liée à de nouvelles précipitations en fin de soirée (de 150 à 180mm), arrive vers minuit, presque calée sur la crue des cours d'eau extérieurs à cause d'une pré-saturation. le débit à l'exutoire doit alors être très important.
Un deuxième pic équivalent survient le Dimanche à la mi-journée, lié à des précipitations pourtant cette fois nettement plus faibles (25mm).
Ce suivi est donc riche en enseignements sur le comportement de l'aquifère karstique. Cette première, qui s'avère être une réussite, mériterait d'être intégrée dans les systèmes de prévisions et d'alerte des pouvoirs publics...

 

Système de suivi des crues karstiques en direct. L'alerte débordement (premier palier de la courbe) est lancée par SMS

 

Le lendemain matin nous partons en quête d'observations et de mesures de terrain. Les fortes crues sont en effet des moments rares et privilégiés à ne pas rater et qui permettent de capter l'information.
Premier arrêt dans les gorges du Terminet. Le Sou est encore à environ 80 m3/sec :

 
L'orbieu un peu en aval montre un débit de 220 m3/sec (station de St Martin des Puits)
 

Seules les cimes des peupliers dépassent...
 
Nous remontons ensuite la vallée pour observer les principaux exutoires karstiques du massif de Mouthoumet, dont l'event de la Cascade à Vignevieille, très emblématique, et qui correspond au plus important réseau souterrain des Corbières connu à ce jour. La puissance de cette "percée" est à classer dans le top 3 depuis les (déjà) 26 ans que je surveille cette grotte. Plusieurs m3/sec sortent de la montagne :
 



Le nombre de sites potentiellement intéressants à visiter ce jour est très important, mais le temps est compté et il faut faire un choix.
Après une visite-éclair sur les sorties d'eau de St Pierre inaccessibles mais visibles (3 m3/sec environ estimés) depuis la rive gauche de l'Orbieu, la tentation est grande d'aller observer les sorties d'eau du Roc de Nitable, notre "hot spot" spéléologique du moment, où nous étions encore en exploration et en première il y a à peine une semaine (voir post précédent dans le libellé). Mais cette fois-ci, pas question de traverser le Sou, même en slip, la crue est beaucoup trop imposante...
Il faut se résoudre à atteindre la rive gauche en passant à pied par la montagne et en rejoignant le GR36. Mais ça vaut le coup : aucune observation n'a jusqu'ici pu être faite sur ces exutoires dans des conditions de ce calibre. J'enfile la combinaison étanche pour traverser le bartas, la sonde de conductivité en poche, j'embarque Alex avec moi et c'est parti !

Nous arrivons en premier à la résurgence du Liadou, et c'est effectivement de l'inédit au niveau de l'observation. L'eau sort d'un peu partout dans l'éboulis, jusque sur le GR36, et même au dessus pour la plus haute sortie, par la faille que nous avions désobstrué au début des années 2000 !


La plus haute sortie d'eau au Liadou, au bord du GR


La sonde portative indique un Ph faible à 7,05 et une température basse également à 11,9°C. C'est aussi la température du courant d'air sortant de l'éboulis en été. Ces mesures sont concordantes avec le résultat des traçages de 2013 : l'eau transite rapidement par des conduits à travers le massif. La désobstruction future de cet exutoire pourrait donc s'avérer riche en surprises. Ce drain fait en effet partie du même système que celui que nous explorons actuellement, qui est très proche mais dans un compartiment géologique différent (voir plus bas le plan d'ensemble du massif avec le report topographique du réseau souterrain exploré depuis l'an dernier).

Nous accédons ensuite à l'entrée du réseau de Nitable. Comme prévu celle-ci est devenue émissive mais dans des proportions bien supérieures à l'année dernière. Un vacarme nous accueille dans la forêt et les images sont parlantes...

Un torrent sort de la grotte...

...où nous étions la semaine dernière




Les mesures donnent une température de 12,3°C, un Ph de 7,19 et une conductivité de 420 µS/cm. Contrairement au Liadou, nous assistons donc ici à une onde de crue par effet piston avec de l'eau chassée du réservoir aquifère du massif. En d'autres mots, c'est de l'eau de la zone noyée !
Cela m'incite à penser que les conduits que nous explorons actuellement dans le cours principal du système sont fossiles et que l'eau transite uniquement par la zone noyée et par le réseau inférieur qui sert de trop-plein à cette dernière lors des crues . La découverte il y a un an d'un gros regard sur l'aquifère depuis ce réseau inférieur de la grotte va aussi dans ce sens.

Satisfaits de ces nouvelles données, nous rentrons et parvenons à la voiture à la nuit tombante.

Puisque le cycle hydrologique vient de redémarrer, cet article est aussi l'occasion de faire un bilan des explorations d'arrière saison sous le Roc de Nitable. La carte ci dessous montre le report topographique du réseau souterrain connu à ce jour :


Les lignes droites bleues fines matérialisent les traçages effectués en 2013. En bleu plus large, les galeries découvertes en 2013 également. En rouge, ce que nous avons exploré entre Octobre et Novembre de cette année.
Ne figure ici que le cours principal, les annexes n'ayant pas encore été topographiés. Les galeries circulent à environ 200m sous l'ancienne surface d'érosion du plateau. Malgré les nombreux virages, montées et descentes, l'extension à vol d'oiseau devient importante avec environ 750m. Le développement total avoisine à présent les trois kilomètres.
 La moitié de la distance entre la vallée de Caulière et celle du Sou a d'ores et déjà été effectuée, mais seul un tiers du parcours est connu si l'on considère que l'origine du système se situe au niveau des paléo-pertes du ruisseau de Caulière (cavités marquées CA).
Les deux enjeux futurs seront donc d'une part de poursuivre la découverte de cette percée hydrogéologique dans le compartiment Carbonifère, et d'autre part de découvrir le drain principal du massif aboutissant à la source du Liadou dans le compartiment Dévonien (voir report sur carte géologique sur un précédent article).
Selon toutes les donnés scientifiques recueillies, le drainage vers cette source serait plus organisé et plus rapide que sous le réseau connu.
On imagine donc sans peine l'extension potentielle que pourrait atteindre le système karstique de Nitable si nous pouvions connecter les deux drains...

En bonus, un lien vers une vidéo faite par Fabien sur la même crue dans le Fenouillèdes :
http://www.dailymotion.com/video/x2bfbir_crue-de-l-agly-30novembre-2014_news

4 commentaires:

Stoche a dit…

J'attendais ce reportage avec impatience. Je savais que vous ne pourriez pas résister. Merci de nous faire partager ces moments exceptionnels.

riton a dit…

ça c'est intéressant!La SPELEO dans tous ces composants:une connection entre le "science pure"et l'action concrète sur le terrain!Laurent cette perte 2, est ce un vrai départ travaillable?Après cet artcle,je compléterait ce que j'ai écrit précédemment:deux objectifs Explo cet hiver: Trassanel et les entrée supérieures potentielles de Nitable!

André Tarrisse a dit…

MERCI LAURENT pour ce Très Beau Reportage,.. où aux Excellents Ecrits,.. alternent Photos et Vidéos (qui rendent bien mieux compte des débits en jeux,.. que les simples Photos ). FELICITATIONS et BRAVO !!
Amicalement- André-
Je vois que les Télé- Enregistreurs ont bien fonctionné,..c'est TRES IMPORTANT !!

masdan a dit…

Tout a été dit, excellent article, débits monstrueux, il est bien moins tombé d'eau en Minervois ... Le débit de Vignevieille est ....!!!!!!Il faudra bien continuer ce réseau aussi, ...