Vendredi 27 Avril au Mardi 1° Mai
Jean Claude, Christiane, Jean Pierre, Violaine, Philippe, Geneviève, Pauline, Jean Michel, Isabelle, Guillaume, Etienne, Sylvain, Claire, Jean Marie
Depuis deux ans on en parle de ce séjour en Italie. Pas facile d’organiser un camp dans un pays étranger. J’ai souvent pensé à mon ami Patrick qui depuis 20 ans en organise en Chine, je le comprend mieux. Je pensais que nous serions 5 ou 6 ; nous sommes 14. Quinze jours avant le départ tout était annulé. Heureusement, Marc, spéléo français qui vit et travaille à Gênes est venu à mon, notre, secours : cavités, topos, guidage sous et sur terre. Avec sa famille il n’a pas ménagé ses efforts pour nous faciliter le séjour.
Donc ce vendredi 27 Avril nous y sommes en Italie !
Les sorties à Chiméra et au Milazzo ont déjà été décrites (voir articles du mois précédent)
Ce 3° et dernier jour pendant que certains coincent la bulle et se découvrent des talents au karaoké, 8 d’entre nous entreprennent une des nombreuses traversées du Corchia :
Mais…
Je n’aime pas la médecine d’urgence. Ma pratique professionnelle m’en a éloigné volontairement depuis plus de 20 ans. Je sais que je ne suis plus compétent.
Malgré cela, sur ces dernières années, je me retrouve certainement dans le tiercé gagnant des médecins français intervenant en secours spéléo réel.
Chutes de blocs, de spéléos, luxations, en passant par l’accident de décompression en fond de trou… N’en jetez plus, le kit est plein !
D’autant plus qu’à chaque fois je me retrouve, pour rester soft, avec « la clef de 13 et le couteau ».
Sans parler du « Paniqueur Chronique » maison, (je vais mourir, il faut déclencher un secours…) ; il entre certes, parfaitement dans mon domaine de compétence et me permet de tester une thérapie peu éthique en cabinet, mais parfaitement adaptée sous terre (ne nous fait pas chier, fermes la, et montes…).
Revenons sur notre avant dernier puits de Corchia.
16 heures, tout va bien, nous allons même être en avance. Il reste un magnifique P30, un ressaut et nous arriverons à la partie touristique.
Je suis au bas d’un P25 (15 +10). Sylvain est remonté décrocher la corde nécessaire plus bas pour le dernier puits.
Un grand cri, un rebond sur la paroi, j’ai le temps de le voir s’écraser sur les 3 blocs formant le palier 10 mètres au dessus de moi.
« Sylvain ! Sylvain ! » Il ne répond pas. Au bout de quelques secondes il reprend, à moitié conscience.
La corde décrochée pend dans le vide, posée sur le palier, inutilisable.
Tu peux bouger ?
Non
Je ne sens plus mes jambes…
Putain ! De salles images me passent dans la tête, elles doivent passer dans la sienne également.
Je hurle vers le bas. Marc et Etienne rappliqueront rapidement.
Retour sous les blocs.
Essaie de bouger les orteils, tu peux ?
Oui
Tu les sens ?
Oui
Ouf ! un problème de moins.
Du coup, voyant qu’il peut bouger, il essaie de prendre une autre position. Mais comme il est dans les vaps il risque de décrocher de ses blocs et de chuter 10 mètres de plus. Il ne manquerait que ça !
Marc et Etienne arrivent en un temps record. Comment atteindre Sylvain ? Tout se passe très vite :
Lancer une corde ? Mais elle passera au dessus du blessé.
Faire le tour par l’extérieur ? Cela prendra plusieurs heures.
Attendre une perfo et escalader en artif ? Plusieurs heures également.
Etienne se lance en libre, je tente de l’arrêter. Inutile de risquer un sur-accident.
Marc me coupe : « laisse, c’est un vrai grimpeur, s’il le sent … »
Tac, tac, tac, à peine quelques secondes et Etienne est auprès de Sylvain… « Il Gatto »
Sa prise de risque est décisive et change la suite du secours. Il équipe le P10 et une main courante.
Nous le rejoignons, 1° bilan : Sylvain est conscient, mais bien cassé : fémur, pied poignet…
Le risque hémorragique est majeur. En explo j’ai toujours une boite d’antalgiques puissants au fond du kit, mais pour cette traversée touristique je ne les ai pas pris.
Marc redescend déclencher le secours. Comment sont les secours en Italie ? Assez de monde ? Du matériel ? Des médecins ? Devrons nous compter que sur nous-même ?
Jean Pierre nous rejoint avec de quoi faire un bivouac. Philippe a même donné sa polaire et est sorti torse nu. J’aurais aimé que Claire monte aussi : si on nous amène une pharmacie avec du matériel injectable elle pique mieux que moi. Mais traumatisée par son expérience chinoise elle ne se sent pas capable de vivre un second épisode.
Nous installons un point chaud et déplaçons Sylvain avec précaution. Je bricole avec sa pédale de quoi maintenir sa jambe en extension.
Soudain son état se dégrade : bouffée de chaleur puis froid et altération de la conscience.
Le pouls est faible mais lent. « Ne dors pas, réveilles toi ! ». Nous le secouons. Il reprend conscience peu à peu. Ouf ce n’était qu’un malaise vagal. Et retrouve aussi la douleur… Non, on ne te laissera pas dormir…
Café, barres énergétiques, réchauffage et surtout soutenir le moral. Sylvain se contrôle au mieux. Comment aurions nous tenu s’il avait hurlé pendant 4 heures ?
Tentative de film.
Mais les piles rendent l’âme.
Nouveau malaise, beaucoup plus fort cette fois. Perte de conscience, la tête tombe sur le coté.
Jean Pierre pense qu’il nous échappe. Il se redresse d’un bond, attrape le visage et le secoue vivement « Sylvain ! Sylvain ! »
Pour la 1° fois depuis le début je me dis que ça va mal tourner. Ce sera impossible de faire une réanimation sur nos rochers. Le descendre au palier en dessous ? Le masser en attendant ? En attendant quoi ? Nos chances seront nulles. Le pouls est quasi imprenable mais toujours lent, il ne doit pas saigner… Peu à peu il revient à lui, ce n’était qu’un second malaise vagal.
Nous entendons des voix en dessous. Un spéléo nous rejoint Giovanni. Il parle français « je suis médecin, urgentiste ». Il est 20 heures.
Puis tout s’enchaîne. Jean Pierre et Etienne ressortent. Les équipes organisent les ateliers et la civière démarre. Dès que nous arrivons à la partie touristique, l’état de Sylvain est rassurant et l’ambiance plus détendue : plaisanteries, sourires et bonne humeur autour du brancard lors des pauses.
La maîtrise médicale, technique et humaine a été parfaite. Messieurs (et Mesdames) les spéléos italiens, vous êtes vraiment des grands, Grands Professionnels.
Nous sortirons à 2 heures et Sylvain arrivera peu après à l’hôpital de Versilia.
Photos : Violaine, Sylvain, Isa, Jean-Marie Film secours : spéléo anonyme italien