Participants : JLuc, Boris, Laurent + Christophe (univ. Perpignan)
Le temps des hautes eaux n'est pas propice aux explorations de pointe comme nous l'avons constaté la semaine dernière (voir post précédent). Cependant, cette situation a aussi ses avantages, et nous comptions bien en tirer profit.
Dès lundi 1er février, une ambitieuse opération de traçage, préparée depuis quelques temps déjà, était mise en place sur notre secteur favori de recherches.
L'épisode pluvieux en cours sur le plateau de Sault n'a rien d'exceptionnel; il s'en produit plusieurs fois par an du même ordre de grandeur. Mais il semble suffisant pour "éclairer" certaines circulations ou diffluences karstiques potentiellement activées dans ce cas. Nous comptons rester pour cette fois dans les quelques kilomètres aux alentours du Blau pour mieux cerner ce secteur encore plein d'énigmes, un quasi-désert hydrogéologique. Les deux cibles sont la perte du Sarrat de l'Etreuil, qui a la réputation d'être la plus lente du plateau vers Font Maure (27 jours de trajet, vieux traçage de 40 ans sur lequel des doutes étaient émis), et la perte de Coume Froide, jamais tracée précédemment ni même inventoriée.
Nous prélevons des échantillons "à blanc" dans les résurgences qui ont un bon niveau hivernal (Font Maure, Blau, Graviers, Fontestorbes)
Font Maure |
Fontestorbes avec une teinte caractéristique de fonte nivale |
Rendez-vous ensuite sur le plateau. Comme plusieurs autres mécènes, l'université de Perpignan nous soutient dans cette opération et Christophe, qui travaille en laboratoire sur la fluorescence, nous accompagne sur le terrain. Il s'occupera ensuite des analyses labo.
Christophe, JLuc et Boris en tenue de combat |
Sur le site de Coume Froide, le ruisseau débite 4,5 l/sec environ et s'infiltre dans les premiers affleurements calcaires de la clairière, sans atteindre la perte aval où un courant d'air se fait encore sentir, signe que tous les conduits ne sont pas saturés dans l'endokarst.
Un peu de couleur dans la clairière |
Photographe photographié |
C'est parti... |
Ensuite direction le Sarrat de l'Etreuil pour la suite de l'opération. Le ruisseau débite 5,5 l/sec environ. La perte est à saturation et la doline ne peut absorber plus de débit sans déborder. Il faut dire que l'eau s'infiltre au travers des marnes jusqu'au calcaire sous-jacent.
Nous avons ensuite tenu une rencontre avec Mr le Maire de Puivert pour le tenir au courant de nos travaux.
De retour à la maison, je jette un oeil sur le serveur qui charge les données en direct toutes les heures, pour vérifier que tout fonctionne bien...
Et là, c'est la stupeur...
Cela fait environ 5 heures que nous avons injecté, et la courbe part soudain à angle droit vers le ciel sur le graphe de la résurgence du Blau, à plus de 2km à vol d'oiseau. Deux mille mètres divisé par cinq, ça fait...400 mètres linéaires à l'heure !
Avec une expérience de plusieurs dizaines de traçages et pas mal de lecture sur le sujet, c'est une valeur que je n'ai jamais vue même sur les karsts les plus transmissifs, encore plus incroyable sur un karst de plateau avec un débit d'injection d'à peine quelques l/sec.
Malgré la dilution dans la doline de la perte, la courbe de restitution ressemble plutôt à un mur : le pic est atteint deux heures environ après le début de restitution. Il ne dure que quelques minutes. La descente est rapide, et la traine habituelle en traçage est réduite à sa plus simple expression. 24h plus tard, il ne reste plus aucune trace de colorant dans le Blau. Si on avait tracé en rivière extérieure, le résultat eut été quasiment le même.
Une seule explication possible au phénomène : la perte, passé le transfert vertical, est située en plein sur le collecteur du Blau souterrain, dont le débit est d'environ 4 à 5 m3/sec à ce moment-là (le seuil de mesure et une courbe de tarage existante nous facilite la tâche pour les débits). Cela ne représente qu'environ 25 à 30% de sa capacité en crue. Cette rivière puissante qui nous fait rêver depuis le début passe donc bel et bien dans ce secteur, un drain unique qu'aucun obstacle ne semble freiner...
Le report sur carte est parlant : le collecteur recoupe obligatoirement le début du réseau IV du Chandelier, quelques dizaines de mètres sous les galeries connues. Le grondement entendu par l'équipe du Chandelier la semaine précédente à ce niveau n'est donc certainement pas une illusion...
Quand on rajoute à ces arguments les conclusions déduites de l'expérience de surpression aérologique de l'été 2019 (voir carte ci-dessous), on se rend compte que la terre (cf carte géologique sur un précédent post), l'air et maintenant l'eau nous chantent la même mélodie.
carte des conclusions de l'expérience aérologique de 2019 |
carte déduite du traçage 2021 de la perte du Sarrat de l'Etreuil |
Le Blau souterrain gronde dans l'ombre en attendant qu'on le découvre, il n'est plus qu'à quelques dizaines de mètres de la zone connue du Chandelier.
Mais tout le traceur n'est pas encore ressorti au moment de l'écriture de ce post. Il va y avoir beaucoup de choses à dire quand le traçage sera terminé, mais ce premier résultat justifie déjà à lui seul l'ampleur de l'investissement.
30 commentaires:
Deja un retour sympa
400m /h......
La rivière !!!!
Super nouvelle ! Donc Etienne n'a pas halluciné ;) Bon maintenant si je comprends bien, on ne doit pas faire qu'une jonction, mais deux...
EXCELLENTES OPPORTUNITES HYDROLOGIQUES !!!
...FELICITATIONS à l'Equipe qui a réalisé ces MAGNIFIQUES TRACAGES HYDRO- SPELEOLOGIQUES !!! -- André .
résultats absolument dantesques !!
Quelles belles perspectives de premières arrosées !!
Lionel
Et la fluo , toujours rien ?......Bravo.
Il serait instructif de mettre la topo du trou du vent sur le report de surface....
Super!
Par contre, j'aurais quelques questions pour essayer de bien comprendre le raisonnement :
1) En quoi la sortie rapide et avec un pic court de l'injection à la perte du Sarrat de l'Etreuil implique t'elle que le collecteur du Bleau passe quasiment juste en dessous? Ça montre qu'il n'y a pas de zones noyées ou de circulation lente. Mais est-ce qu'on n'obtiendrait pas le même résultat si l'injection arrive juste dans "l'affluant probable", et que celui-ci est torrentiel jusqu'à rejoindre le collecteur plus en aval? (Dans quel cas, il serait possible que le collecteur "tourne" au sud plus tôt)
2) à quoi correspond l'affluant probable? Est-ce que ça correspond au trajet d'un ancien traçage? Ou à un synclinal à cet endroit?
3) Même question pour les "origines possibles du collecteur du Bleau" : pourquoi depuis le sud-sud-ouest? Est-ce que les deux lignes correspondent au fait que tu penses que le collecteur vient d'une de ces deux "vallées", ou juste qu'il vient de cette direction approximativement?
Merci d'avance
Félix
Question aplomb de l'actif, il serait plutôt dans le 4 que dans l'affluent du Corbeaux. Le conduit ventilé franchis par Boris?Qui n'est quand même pas trop loin du siphon ensablé.
Si ça drope autant sous le Chandelier, c'est qu'il y a peu de zone noyée vers l'aval. Le pompage de 1985 n'était pas si con que ça!Il n'y aurais pas eu ces fichue trémie, ça serait déjà accessible....
Et qu'est devenu le colorant de Coume Fréde? Si c'est beaucoup plus lent, c'est que sa doit siphonner vers l'amont.
Pour l'Historique:Injection le Lundi 1 vers...D'abord Coume Fréde, si j'ai bien compris, puis Sarrat de l'Etreuil. TPES? Et nom de famille de Christophe. Merci.
Et si le résultat de y a 40 ans s'expliquait par un très haut niveau d'eau, et un seuil de débordement vers Font Maure ?
Bombardement de questions !
Je vais essayer de faire court. Félix, pour comprendre ce qui oblige le collecteur à passer à cet endroit, il faut imaginer la géologie du secteur en 3D. La gouttière synclinale du col du Chandelier (voir report sur carte géol déjà publié) est un barrage étanche orienté ouest - est qui s'élargit et s'enracine jusque sous la zone noyée du massif en allant vers l'est. Un collecteur vadose comme c'est maintenant prouvé ne peut donc franchir le synclinal que vers l'ouest, là où les marnes présentes en surface ne sont pas très profondes et n'atteignent pas la zone noyée. D'ailleurs l'ancien collecteur du Chandelier ne s'y était pas trompé puisqu'il est venu lui aussi franchir le synclinal très à l'ouest. Cela explique le tracé hypothétique sur la carte.
Quant à l'affluent probable venant du nord-ouest, il devrait drainer l'amont de la gouttière synclinale remontant vers le chevauchement frontal nord-pyrénéen en zone vadose. Il est parfaitement possible que la perte de l'Etreuil conflue avec l'affluent un peu en amont de la connexion avec le collecteur, mais tout ça se joue forcément dans un mouchoir de poche, autrement la forme ultra-pointue du pic de restitution aurait été adoucie par dilution - diffusion.
Pour les origines du collecteur, elles sont calées sur les deux vallées fossiles bien visibles en provenance du sud (les réseaux souterrains sont calés la plupart du temps sur les grandes vallées fossiles)et confluant là aussi dans le même secteur. Le bassin versant pouvant expliquer les débits du Blau ne peut trouver son origine que par là. Etant donné que la fluo de Coume Froide n'est pas sortie dans la foulée, on peut en déduire que sous ses conditions hydrologiques, l'hypothèse du sud-est est à présent prioritaire. Cela ne veut pas dire qu'avec des niveaux plus hauts, une branche venant de Coume Froide ne peut pas s'activer aussi.
Le traceur de Coume Froide est sans doute parti vers le sud en suivant le pendage, c'est une bonne indication de la non-saturation de l'aquifère durant cet épisode.
Quant au vieux traçage de l'Etreuil, il avait été fait au mois de Juin en basses eaux, mais rien n'avait été vu au Blau (avec les moyens de l'époque qui ont maintenant bien changés)
A suivre donc...
Pour les détails des tournées, horaires et noms des participants, il est prévu un CR plus détaillé hors blog.
Pour des explications courtes c'est raté...
Vers le sud question pendage, ça me parle.
Dans le Barrenc d'en Pascal proche de la perte de Coume Fréde, le pendage est nettement Sud.
Merci beaucoup Laurent pour ce complément d'explications!
Et la fluo toujours pas sortie presque une semaine après l'injection?
Bizarre, non?Vous avez dis bizarre mon cher cousin?
Bravo pour ce super traçage ultra positif!! Vu la position du sarrat de l'etreuil très au nord , il paraissait anormal qu'il n'y ait pas relation due à la proximité par recoupement...
Par contre le mystère reste entier dans l'organisation du drainage au delà de l'interface synclinal anticlinal plus au sud...
Encore bravo pour la synthèse!!
Si Coume Fréde vas vers Font Maure, l'écoulement venant de la perte des
Coumeilles ou passe t'il?Plus a l'Ouest? Ou alors les sens d'écoulement sont liés aux débits...Le suspens sous le plateau de Sault continue!
Le prochain titre pourrait être: "suspens sous le plateau"...
Très intéressant tout ça... Vivement la suite !
Sortie de la fluo à Font Maure sans passer par le Blau.
Vitesse d'apparition : 90,8 m/h pour un trajet à vol d'oiseau de presque 17km.
Donc 8 jours de passage?
Relativement rapide, non?
Combien avait mis le Rébounédou?
Donc doline de Coume Fréde et le barrenc d'en Pascal, des accés au réseau de Font Maure?
TGVs sous le plateau de Sault !!!
Mais ce qui est aussi extraordinaire ce sont les envois de données par système téléphonique !!! Quel progrès quand on pense aux surveillances physiques d'il y a peu....
C'est révolutionnaire...
Ca permet de ne perdre aucune donnée car il y a un double stockage, à la fois sur l'appareil mais en même temps sur un serveur distant. On sait tout de suite si quelque chose déconne, et on peut aussi intervenir aux points clés de la courbe pour les échantillonnages manuels qui donnent une double lecture des concentrations en labo. On peut aussi augmenter ou diminuer la fréquence de mesures à distance etc...
La calibration des fluorimètres avec les lots de traceur utilisés complètent les vérifications. C'est un peu complexe mais ainsi les résultats des traçages sont blindés et exploitables.
Sur celui-là, il va y avoir de nombreuses conclusions à tirer très intéressantes. Certaines appellent de futures opérations.
Je crois que c'est la première fois qu'une coloration sort au Blau .la coloration de Fontmaure valide un trajet rapide qu'il faut peut être relativiser Car avec les hautes eaux les galeries qui vont vers la sortie doivent subir une pression considérable qui annule la force des frottements et accélère la vitesse d'écoulement:conduites forcées noyées ( en crue). La théorie du seuil d'écoulement qui bascule une partie de l'eau du plateau vers le Blau est toujours valable .Ce qui voudrait dire qu'il y a un étranglement en aval de la connexion du Blau avec le big réseau Fontmaure qui fait qu'à partir d'un débit donné, le trop plein du débit part vers le Chandelier, trou du vent, résurgence...Comme toujours les explorations nous en diront davantage.
Le Blau est un fantôme. Historiquement aucun traçage, même proche, n'y sortait malgré des débits possiblement colossaux. On l'a fait apparaitre pour la première fois en 2018 en colorant la perte des Coumeilles pendant une fenêtre météo ciblée. Un faible pourcentage de traceur y était sorti, la majorité filant rapidement vers Font Maure. Coume Froide aurait pu recouper cette diffluence, mais niet, le fantôme reste bien caché dans ce secteur sud, même si on sait à présent où il passe au nord et où il ne passe pas au sud.
Dans ce coin, il ne s'active violemment que quelques heures, puis disparait. Mais l'enquête progresse à grands pas, et elle est vraiment intéressante d'un point de vue hydrogéologique et spéléologique...
Pas intéressante,je dirai plutôt PASSIONNANTE !
Certe, même s'il très souvent difficile d'arriver à ces actifs, qui sont quand mème profonds! Voir le SP4, ou l'on ne devais pas être bien loin!L'on devais être, peut être, trop au Nord (?)....La flotte,c'est bien joli, mais l'accès spéléo c'est autre chose...!Après avoir joué les rabats joie, je joue le vieux radoteur: le duo doline Coume Fréde, Barrenc d'en Pascal me semble reprendre du gallon...Je préfère parier sur des galeries fossiles que sur des semi-actifs, voire des actifs. Déjà il y fait moins froid....
Ou peut-être que plus en amont, fossile (chandelier) et semi-actif (blau) ne feront qu'un, ou qu'ils ne seront séparés que de peu en altitude... Allons voir !
Puis il y a d'autres massifs qui méritent qu'on s'y intéresse de nouveau!Avec des trous fréquentables même en période de pluies!
Mais enfin riton !!! C'est certain qu'il n'y a pas que le plateau de Sault, mais là haut il ne faut pas faiblir, même si on va faire un gros truc dans le Minervois...Chuuuuut...D'ailleurs il y a encore des gros trucs à faire...chuuuut....
Moi un potentiel de 15 km de première sur le pays de sault ,ça me plaît.
Il faut en laisser pour les générations futures 😉😊
Daniel, que de cachoteries....
C est quoi ???
chuuuut....:-)
Il y a encore plein de trucs à faire dans le Minervois , plein...Là on va au trou de la crête à Trassanel avec un gros courant d'air .C'est l'alimentation en air de l'aven de Clergue, mais pas que.....Puisque le courant d'air qui sortait a été capté en partie par le trou du plateau qu'on avait vidé avec André sur 9 m de profondeur...à fort courant d'air également...Mais il y a encore bien des choses à faire... En attendant que l'eau baisse sur le chandelier, vous pourriez revenir sur nôtre beau minervois.
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