lundi 20 décembre 2010

LES VENUS PREHISTORIQUES



Les 2 et 3 octobres 2010 se sont déroulées les journées nationales de la spéléologie. A cette occasion, le spéléo-club de l’Aude a organisé la visite de plusieurs cavités situées sur les communes de Trassanel, Villeneuve, Cabrespine et Sallèles Cabardés. L’esprit de ces journées est de faire découvrir ce sport très particulier qu’est la spéléologie. Les rares accidents qui surviennent au cours de son exercice sont malheureusement très médiatisés. Ils font presque oublier tout le bien que peut apporter ce sport passionnant, tant sur le plan humain que pour la collectivité.
La participation à ces journées d’initiation a d’ailleurs battu tous les records. Ce sont prés de 110 personnes, de 8 à 77 ans qui ont pu découvrir le monde souterrain.  Certaines cavités sélectionnées demandent un minimum de capacités physiques. Cela a été un critère de choix suivant la forme de chacun. D’autres, à la fois belles et à la portée de tous ont ravi bon nombre de spéléo en herbe. Ainsi, chacun est reparti un peu fatigué mais avec les yeux brillants de mille feux, semblables aux éclats étincelants des concrétions découvertes.
Tout le monde n’a pas l’aptitude ou l’âme d’un explorateur. Aussi, une exposition unique et très originale était proposée à l’entrée du Gouffre Géant de Cabrespine, quartier général de ces journées. Mr Giuseppe Novelli, ancien président du spéléo-club de Gêne, en Italie, est aussi passionné d’archéologie. Il a eu l’idée de reproduire, par moulage des originaux, une bonne partie des statuettes préhistoriques découvertes en Europe. Beaucoup ont été exhumées dans des cavités, au cours de fouilles archéologiques. Le projet a séduit le club qui a invité Mr Novelli, à se joindre à lui avec sa collection. Il était accompagné de Mr Vatta Edvino, spéléologue à Trieste Cette exposition se compose de 90 statuettes. Elles sont aussi appelées vénus car elles représentent uniquement des femmes. A cette période, l’homme n’avait pas les faveurs des artistes.
Le classement s’est effectué d’abord par pays d’origine. Si l’Espagne reste vierge de toute trouvaille, l’Italie est représentée dans cette collection par 27 pièces, la France 10, l’Allemagne 8, la Russie 20, la République Tchèque 9….Cette liste reste quand même exhaustive. En fait, prés de deux cent quarante vénus ont été découvertes à travers l’Europe.
La création de ces statuettes, qui restent de petite taille (de un à vingt centimètres), a perduré une bonne partie de la préhistoire. On distingue plusieurs périodes de confection qui vont du paléolithique supérieur au néolithique. Le second classement s’est donc effectué par ancienneté
La période du paléolithique supérieur verra la naissance puis l’explosion de l’art Ce phénomène spontané apparaît à partir d’un certain stade de développement cérébral chez l’homme. C’est à cette période qu’a débuté l’art pariétal, puis la création de grands ensembles de peintures monumentales dans les grottes Chauvet, Pech-Merle, puis Lascaux …Mais en ces lieux, l’artiste s’est exprimé en représentant des animaux, peints ou gravés sur d’immenses panneaux. Expression uniquement artistique, rite chamanique, conjuration pour amélioration des tableaux de chasse. ? La signification demeure floue et controversée. Les représentations humaines restent quand même très rares.
Pendant la même période, l’homme a réalisé ces fameuses statuettes. Elles ont été découvertes le plus souvent dans le cadre d’un habitat, en plein air, en abris sous roche, ou dans des cavités profondes. Si elles sont moins spectaculaires que les peintures rupestres, elles n’en demeurent pas moins de véritables œuvres d’art. Le regroupement de ces figurines a permis de constater une évolution incontestable de l’art au cours des âges. Les périodes les plus prolifiques de ce paléolithique sont :


Le gravettien :

Cette phase. va de – 28 000 ans à – 21 000 ans avant notre ère. Les statuettes les plus célèbres ont été exécutées à ce moment là. En France, la vénus de Brassempouy a été ciselée dans un fragment d’ivoire par un sculpteur virtuose (fig.1). La vénus de Lespugue a été taillée dans l’ivoire d’un mammouth. Son aspect futuriste fait penser à une œuvre moderne. Ses seins et ses fesses, très volumineux comme pour la quasi totalité des vénus de cette période, sont très stylisés. Chaque détail s’inscrit dans un arc de cercle. Certains l’ont baptisée « la Joconde de la préhistoire » (fig.2). Une autre, aussi célèbre, a été découverte en Autriche. C’est la vénus de Willendorf. Elle est toujours très volumineuse, avec la tête entièrement couverte de tresses enroulées ou de mailles (fig.3). Une autre, moins connue mais plus belle encore est la vénus de Kostienki (fig.4).
fig. 1.JPG vénus Brass
Fig. 1 : vénus de
Brassempouy – Landes
France – Ivoire – Plein air – 21 000 ans
fig.2 venus lespugue
Fig. 2 : vénus de Lespugue- Haute Garonne France – Ivoire – Plein air – 21/25 000 ans
fig. 3 venus Willendorf
Fig. 3 : vénus de Willendorf – Krems –Autriche
Plein air – calcaire – 23 000 ans
fig. 4 vénus kostienki
Fig. 4 : vénus de Kostienki – Voronej-
Russie - Ivoire.

On constate l’uniformisation de ce style dans toute l’Europe. Ces vénus sont taillées en ronde-bosse. Bon nombre de statuettes ne comportent ni tête ni pieds. Leurs poitrines abondantes et leurs formes arrondies évoquent des femmes ayant enduré plusieurs maternités. Les mains parfois posées sur le ventre sont le signe de futures mères. En cette période de forte glaciation, la mortalité infantile est vraisemblablement importante. La préoccupation majeure des peuples est peut-être la survie de l’espèce. Au-delà de l’effet de mode, la réalisation de tels modèles ne correspond t’elle pas à une aspiration vers la femme idéale ? Ces statuettes taillées dans l’ivoire, matière noble, sont peut-être des objets fétiches, symboles de la fécondité ou de l’abondance. Mais en l’absence d’écrits, toute interprétation restera hypothétique et toujours controversée.

Le Magdalénien

Cette période plus récente du paléolithique va de - 17 000 à - 10 000 ans avant notre ère. Le climat se radoucit. Petit à petit, la flore et la faune changent. La steppe devient omniprésente avec de grands troupeaux d’herbivores : chevaux, bisons, rennes, mammouth, bouquetins… Les conditions de vie sont moins rigoureuses. Les aspirations humaines ne sont plus les mêmes, amenant un changement de l’art mobilier. Les statuettes, moins nombreuses, seront taillées dans du bois de renne au lieu de l’ivoire. Fini la ronde bosse, les seins énormes, le ventre ou les fesses rebondies. Elles passent d’un aspect descriptif, parfois rudimentaire, à une forme plus affiné, plus stylisée. Par contre, sur certaines œuvres, le sexe prend une place plus importante. Le détail sera poussé à l’extrême avec la gravure des poils pubiens (fig. 8). Ainsi, le regard de l’homme ou de l’artiste vers la femme change.
fig 5. venus Nebrafig.6
Fig. 5, 6 : Vénus de Nébra – Unstrut – Allemagne – Plein air – Bois de renne
fig. 7 venus barenkeller
Fig.7 : Vénus de Barenkeller. Grotte des Ours 
Rudolstad – Allemagne - 11 700 av JC
fig. 8 venus grotte placard
Fig. 8 : Vénus de la grotte du Placard
Vilhonneur – Charente – France.

 

Le Néolithique:

Cette période qui va de 6 000 à 2 500 ans avant notre ère, voit une grande évolution de la civilisation humaine. L’homme passe du statut de chasseur cueilleur à celui d’agriculteur éleveur. Il se sédentarise. Son mode de vie change radicalement. L’art est encore différent. Finie l’ivoire des grands mammifères du paléolithique supérieur. Fini le bois de renne dont les grands troupeaux ont disparu. Les statuettes sont modelées dans l’argile et durcies par le feu. La souplesse de ce matériau permet une représentation dans des attitudes plus variées. La femme, sans retrouver les formes opulentes du paléolithique, redevient expressive. Ses bras écartés évoquent une gracieuse danseuse (fig. 10) Les petits seins deviennent à la mode (fig. 10, 12). Sa position parfois assise peut être liée à la sédentarisation, avec l’utilisation de bancs, tabourets (fig. 11). Peut être aussi le signe d’une femme dominante ?


fig. 9 cala scozzo bronze
Fig. 9 : vénus de Cala Scizzo- Brindisi- Italie
Grotte marine- Terre cuite – Age du Bronze
fig. 10 vénus strélice
Fig. 10 : vénus de Srélice – Slovaquie
Terre cuite – Néolithique 4 000 BP
fig. 11 venus Arène Candide
Fig. 11 : vénus Arène Candide
Italie –Terre cuite – Néolithique
fig. 12 Passo di corvo
Fig. 12 : Passo di Corvo- Foggia- Italie
Terre cuite- Néolithique- 4 250 ans
 


Conclusion :

La réalisation de toutes ces figurines par Mr Giuseppe Novelli est l’aboutissement d’un énorme travail de recherche et de confection. La fabrication de moules à partir d’originaux, détenus dans différents musés ou collections privées européennes, lui a permis d’exécuter de nombreux modèles. Ensuite, grâce à des échanges, il s’est constitué une collection unique en Europe.
La mise en place de cette exposition et la juxtaposition de toutes ces œuvres a montré de façon frappante la mutation de l’art préhistorique. Cette évolution, retracée ici à travers quelques statuettes, est plus flagrante en France ou en Allemagne. Sur d’autres contrées européennes, il y a quelques modèles qui transgressent la règle. Ils sont peut être le fruit d’un artiste visionnaire !
L’influence du climat a été rarement évoquée comme cause déterminante dans l’évolution de cet art. Si l’effet de mode peut être invoqué, l’éloignement des sites peut rendre difficile les échanges indispensables à une telle homogénéité. D’autres facteurs, liés à l’évolution similaire des conditions de vie des populations en Europe, ont du intervenir dans la création de ces œuvres par nos artistes préhistoriques.

JPP

Photographies : Giuseppe Novelli
Bibliographie : Henri Delporte - « L’image de la femme dans l’art préhistorique »
Ed. Picard - 1993

1 commentaire:

Edouard a dit…

Article vraiment exceptionnel! Merci JPP et surtout Mr Novelli ! On a eu de la chance d'avoir cette exposition à Cabrespine.